Aura Ventosa (commune de Castelnau-Pégayrols)

Marc Parguel
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Aura Ventosa (la demeure des vents)

Prenons la route et rendons-nous entre Moulibez et Castelnau-Pégayrols. Arrêtons-nous à la Rauzière et montons à droite par un chemin bien tracé. Celui-ci nous mènera, au bout de quelques minutes de marche, à une église antique connue sous le nom d’Aura Ventosa ou Laura Ventosa (celle ou demeure ventée) rebaptisée par la suite « La Gleyze des Fadarellas ». Il s’agit d’une construction à demi-troglodytique datant du milieu du XIIe siècle, obtenue par la fermeture d’une cavité naturelle par un mur en pierres taillées de grès situé au flanc d’une falaise sous Rouviaguet dominant la vallée de la Muse.

A travers les chênes.

La première colonie de Grandmontains qui arriva en Rouergue vers 1150, l’utilisa avant l’achèvement du prieuré de Comberoumal, situé à quatre kilomètres de là. Ils avaient trouvé ici l’endroit rêvé, au milieu de la forêt, en un lieu difficile d’accès, et vivaient dans la solitude et l’isolement propre au respect de la règle de Saint Etienne dans toute sa rigueur et propice à la méditation. Derrière la façade d’une hauteur de huit mètres vécurent quatre ou cinq moines.

Plan graphique d’Aura Ventosa, par Jean Victor (1925)

De leurs trois fenêtres romanes (identiques à celle que l’on retrouvera à Comberoumal), ils pouvaient voir plusieurs kilomètres des deux vallées confluentes : le village et la route de Castelmus, le vignoble de Castelnau, la côte des Moulibez. Cette situation était toute indiquée pour une porte d’observation, d’autant plus que le plateau de Rouviaguet était habité. Deux ou trois dolmens le prouvent. Une seconde cellule avait aussi été établie à côté dans une anfractuosité du rocher, plus étroite que la première. Mais il n’existe plus qu’un peu de mur latéral, le mur de face ayant complètement disparu.

Le nom d’Aura Ventosa nous est connu dans les archives : « Apud Auram Ventosam de Comba Romal » grâce à deux miracles ou guérisons attribués à Saint Etienne de Muret dont le récit nous a été transmis par Gérard Ither, septième prieur de Grand-Mont, mort avant 1200. Les voici :

Premier miracle. – Sur le territoire de l’évêché de Rodez au château de Saint Beauzély, l’enfant d’une noble dame qui protégeait l’ordre de Grandmont et en particulier les religieux d’Aura Ventosa est guéri miraculeusement d’une maladie mortelle par l’intermédiaire de Saint Etienne, le jour même de la canonisation de celui-ci, c’est-à-dire le 30 août 1189. La noble dame pourrait être l’épouse d’un seigneur du Lévézou, ou même d’un comte de Rodez.

Deuxième miracle. – Au mois d’août 1192, Florence, épouse d’Armand de Roquetaillade, saisie d’une fièvre mortelle, avait déjà été placée sur un lit de cendres et vêtue d’un cilice, pour mourir comme les chrétiens. Elle déclare à son époux qu’elle veut être vouée à Saint-Etienne ; en conséquence, celui-ci la mesure de la tête au pied avec un cordon de chanvre qu’il enduit de cire pour faire une statue de même grandeur offerte au tombeau du saint. En même temps, la malade voit apparaître à son chevet Saint-Etienne entouré de ses disciples qui lui ordonne de se relever, et à l’instant elle est miraculeusement guérie. En reconnaissance, elle visite le frère de Grandmont qui habite dans le voisinage de son château à Aura-Ventosa de Comberoumal et leur remet trois sous de monnaie de Rodez, pour faire une statue de cire destinée à orner le tombeau du saint dans l’église de Grandmont (D. Rey : « Le Prieuré de Comberoumal (1925) d’après Levesque, 1662 et Dom Martène,1729, p.22-23).

Aura Ventosa, cellule primitive, aurait donc abrité les quatre ou cinq premiers moines grandmontains, mais comme abri provisoire. En effet, la celle de Comberoumal à 4 km de là aurait été fondée à l’extrême fin du XIIe siècle par la famille des comtes de Rodez, dans une zone très boisée, mais abritée de la bordure du Lévézou. Ce fait est confirmé par D. Rey : « Il reste bien établi que les miracles sont contemporains de la prise de possession de Comberoumal par les religieux d’Aura Ventosa ».

Pour P. et Ch. Bastide, « Aura Ventosa » a pu être la celle originelle, puis un ermitage pour des retraites de moines pendant et/ou après la phase de construction du prieuré de Comberoumal.

L’église antique d’Aura Ventosa fut selon toute vraisemblance habitée une dizaine d’années, même si certains historiens sont partagés sur cette idée. D’après Albert Carrière : « On ne conçoit pas qu’une colonie de moines ait élu domicile même provisoirement dans un lieu aussi inhospitalier, sous le surplomb d’un petit rocher exposé à toutes les intempéries. On comprendrait mieux que les moines de Comberoumal aient avisé ce trou occupé par un ermite depuis des siècles, pour en faire une cellule confortable suffisante pour un seul ermite et cet édicule ait été bâti selon les règlements de leur ordre. » (Par monts et par vaux, Midi Libre, 18 octobre 1953)

On peut supposer qu’Aura Ventosa, a été utilisée par la suite comme un ermitage pour quelques retraites en totale solitude. On remarque des bouches à feu d’angle défendant l’entrée et une meurtrière. Au-delà de l’église était-ce un poste de défense ? Albert Carrière y voit un poste d’observation : « Un guetteur, de l’extrême pointe de notre promontoire, rendait les mêmes services que celui qui plus tard veillera au haut du donjon ou du beffroi de la ville, à la sécurité de ses concitoyens. De la reconnaissance pour les services rendus naquit la vénération du lieu qui en fit un sanctuaire païen. »

La population, avec le temps, ayant sans doute oublié les miracles, mais sensible à l’étrangeté de ce lieu, lui a donné le joli nom de « Gleisa de las Fadarelas », l’église des fées, de sorte que le géographe qui dressa la carte du pays, Cassini, signale le « Roc del Fadarel » (1780).

On sait que, d’après les traditions populaires, les Fadarelles étaient des fées dont la naïve imagination de nos aïeux peuplait certains endroits. Ici, cette tradition s’explique par l’existence de trois dolmens, au nord et à peu de distance de Rouviaguet, sur le plateau dont le rocher forme la ceinture.

Aura Ventosa est vraisemblablement la plus ancienne construction grandmontaine qui soit parvenue jusqu’à nous et comme le note Alain Bouviala : « Vu l’ancienneté de la construction et la destruction du plafond naturel, l’ouvrage a bien résisté, mais pour combien de temps ? Une partie du mur disparue avec une fenêtre et une autre en danger…Il serait bien avisé de consolider la voûte et de la faire avancer en du mur. Peu de travaux, encore faut-il la prise de conscience des décideurs locaux. Nous avons un seul ermitage semi-troglodytique toujours debout, dans le Parc Régional des Grands Causses, allons nous le sauver ? » (Les Baumes, Los Adralhans, 2002).

Marc Parguel

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