Le Saoutadou désigne le lieu où l’on sautait dans le Tarn. Pour nos anciens il se situait à la hauteur de l’hospice (Hôtel Dieu) sur la berge de la rive droite. Au début du XIXe siècle, la place Bompaire actuelle et les berges du Saoutadou n’étaient pas remblayées et régularisées, l’ancien hospice (Hotel Dieu) avait presque les pieds dans le Tarn, où l’on accédait par une pente assez étroite et irrégulière de terrain vague.
En aucun cas, le nom du Saoutadou n’avait été donné à la rive gauche, qu’on nomme aujourd’hui à tort « Ilot du Saoutadou », c’était la plaine de la Maladrerie qui fut, durant le Moyen Age, appelée « Lou camp de la fieyro » alors même que depuis un temps immémorial les foires ne s’y tenaient plus. Jules Artières donne comme définition du Saoutadou : « C’était le nom vulgaire du talus des quais, aujourd’hui recouvert par un perré, d’où les nageurs sautaient pour plonger dans le Tarn » (Millau à travers les siècles, 1943).
Pas de trace d’ancien sautoir, mais cette appellation (Saut du Tarn) n’est pas très ancienne, on ne la retrouve pas dans les vieux textes.
André Maury nous donne une explication possible sur ce nom : « Nous pensons que cette appellation a du prendre vie lors du fonctionnement, après la destruction du Pont Vieux par l’inondation du 8 janvier 1758, d’un bac à cet emplacement. De 1758 à l’inauguration du Pont Lerouge, le 1er janvier 1821, le passage du Tarn fut assuré principalement par un bac placé en amont du pont démoli. Nous sommes à nous demander si ce n’est pas le bac lui-même qui reçut ce joli nom expressif de « Saoutadou ». En remplacement du grand pont détruit, l’emploi du diminutif était de rigueur dans notre langage ancestral pour désigner le bac, ce bateau long et plat retenu par un câble et qui glissait d’une rive à l’autre. » (Sur les chemins caussenards, Midi Libre, 14 septembre 1958).
Selon Pierre-Edmond Vivier, ce nom de Saoutadou est dû à la chaussée où barrage du moulin qui se trouve justement en cet endroit. Entre autres acceptations, le mot « Saoutadou » désigne tout « saut » ou chute d’un cours d’eau, plus ou moins marquée, naturelle ou artificielle. (L’ancien quai, Bd Richard, Journal de Millau, 23 janvier 1979).
La chaussée du Saoutadou ne se franchissait pas toujours sans incident comme en témoigne ce fait divers de 1889 : « Dans l’après-midi de dimanche (17 mars), deux jeunes gens, se trouvant en bateau, sur le Tarn, voulurent sauter la chaussée du moulin de Sarro ; mais le bateau chavira, et tous deux tombèrent à l’eau. Un nommé Chappert, qui savait nager, put gagner le rivage ; mais l’autre aurait été infailliblement entraîné par le courant sans les secours que lui a porté le nommé Delfau. Ce dernier s’est jeté à l’eau et a été assez heureux pour sauver l’imprudent d’une mort certaine. » (Journal de l’Aveyron, jeudi 21 mars 1889).
Comme nous le montrent ces anciennes cartes postales, dans ce quartier du Saoutadou, il ne s’y trouvait pas deux maisons semblables, par la hauteur, la largeur, la forme des toits ou l’ancienneté apparente. Etroitement serrées, elles ont l’air de se disputer la place en bordure du Tarn, ou quelques-unes baignent leurs pieds. Des portes et autres ouvertures se voient au niveau de l’eau, elles devaient être submergées à la moindre crue.
Sur cette carte de 1916, parmi les calquières, émerge un pigeonnier. On en remarque un modeste de grenier sur la 3e maison à gauche. On voit également des jardinets, que l’orientation au Midi devait favoriser.
Nombreux ont été ceux qui ont chanté ce pittoresque quartier de Millau. Lucien Grégoire, troubadour millavois du XIXe siècle, écrivait : « Si vous voyez, chose sans pareille, les bateaux sur les eaux du Saoutadou » ou Joachim Balitrand : « Et moun nobiol, douçomentou, se bolonço dins soïs ounzados… del Gourp de Bados ol Saoutadou ».
Le quartier du Saoutadou a vu passer des modèles de voitures Citroën servant pour des démonstrations de véhicules à chenilles, qui avaient sillonné l’Afrique à trois reprises, entre 1922 et 1927.
A la belle saison, les Millavois aimaient à se retrouver au parapet du saoutadou. Les pêcheurs y faisaient souvent de belles prises. Ce petit coin de Millau était tellement animée qu’on avait même créé la « Commune libre du Saoutadou » pour organiser des fêtes : élection de miss, bals, manifestations. C’était aussi le lieu de la foire des cochons le 6 mai.
Comme le rappelle André Cadaux : « Le 14 juillet, la « Gaule Millavoise » organisait un concours de pêche avec défilé des concurrents, lignes sur l’épaule et, en tête, la Clique des Sapeurs Pompiers… » (Des Millavois parlent aux Millavois, tome IV, 2013).
Dans les années 1950, ce quartier du Saoutadou était encore bien vivant : « Après les fêtes populaires de sa commune libre, ce sont désormais de courageux champions de moto, intrépides chevaliers de notre monde moderne, qui veulent lui apporter l’auréole d’une gloire sportive. Ces illuminations vénitiennes se reflétant romantiquement dans l’eau du Tarn, une claire nuit d’août… nous rendent encore plus attrayantes ces jolies rives du Tarn » (André Maury, Midi Libre, 14 septembre 1958).
Marc Parguel