Patrimoine millavois

Patrimoine millavois : Le lavoir de l’Ayrolle

Le lavoir du Boulevard de l’Ayrolle est unique en son genre dans le département, mais ne remonte pas aux Romains, bien qu’il ait l’apparence des monuments de cette époque (J. Artières, C. Toulouse, Millau, 1924).

Jusqu’au milieu du XVIIe siècle, la ville de Millau était alimentée en eau par la source de « Vézoubies » qui naît au Puech d’Andan. Les eaux étaient souvent polluées par les blanchisseuses et c’est pour éviter ces désagréments que les premiers lavoirs de la cité furent construits en 1674-75.

En 1745, la ville de Millau possède encore ses murailles et ses fossés hérités du Moyen-Âge. Cette situation de confinement et de manque d’hygiène est propice au développement des épidémies. Afin de remédier à ce problème, l’intendant de la généralité de Montauban (à laquelle est rattachée Millau), Gaspard César Charles de l’Escalopier (1709-1779), entreprend d’abattre les murailles et de combler les fossés (devenus inutiles) de la ville, afin de permettre le développement de cette dernière. Avisant, en 1746, le conseil municipal « de gratifier la ville de quelque embellissement, où pussent se trouver à la fois l’utile et l’agréable », l’intendant se voit répondre de la nécessité de construire un lavoir. L’Escalopier charge alors l’architecte Jean Ramond, ingénieur du roi, de dresser les plans du futur édifice. Celui-ci les exécutera en 1747. Il s’agira de rendre un hommage monumental au roi Louis XV et doter la ville d’un nouveau lavoir alimenté par l’aqueduc de Vésoubies.

La grille qui ferme le lavoir servait aux lavandières et aux ménagères à faire sécher le linge.

L’emplacement choisi sera « au faubourg de l’Ayrolle » (l’actuel boulevard), sur un terrain acheté aux pères Carmes en 1747 (Archives municipales, cc 232). La population millavoise est réquisitionnée pour la construction du lavoir. Ainsi en 1749, les délibérations de Millau nous apprennent : « Nous venons de recevoir par ce courrier l’arrêt du Conseil concernant la construction d’un lavoir dans notre ville et la démolition des tours et des avant-portes… Ainsi nous n’avons plus rien qui nous arrête pour faire travailler la construction de notre lavoir, vos très humbles et très obéissants serviteurs, De Sarret, Maire, Peirot Canron, consul, Millau, le 18 avril 1749 ».

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L’arrêt du Conseil d’Etat de 1749 nous confirme l’approbation de la construction du lavoir et M. L’Escalopier, ayant fait sentir « la nécessité de procurer à la ville de Millau les commodités qui lui manquent » (Délib.27 octobre 1748), la démolition des portes et des tours du rempart devra fournir les matériaux nécessaires. Cet embellissement permettra ainsi aux habitants de laver leur linge jusqu’au début du XXe siècle. La grille qui le ferme sert alors aux lavandières (bugadières en patois occitan) et aux ménagères à faire sécher le linge.

D’apparence, le lavoir se présente en hémicycle, avec bassins et un portique semi-circulaire à neuf arches, la façade est composée de trois portiques (de l’ordre architectural toscan), et est surmontée d’un entablement couronné de balustres. Pour la parure de cet édifice, le grès ocre a été privilégié, bien plus beau et solide que le calcaire gris, qui avait tendance à s’effriter et qui fut utilisé seulement à l’intérieur des murs, dans les parties non visibles.

Le tympan du fronton encadre un écu, entouré de trophées, où figuraient les armes de la ville (en 1793, lors de la Révolution, les armoiries et les inscriptions du fronton, symbole de l’ancien régime, furent martelées, et sont depuis à peu près complètement illisibles). Les macarons représentent des têtes d’Indiens, ce qui témoigne de l’engouement, à l’époque, pour « l’exotisme » colonial.

Le lavoir était initialement doté d’une toiture, mais ayant commencé à crouler en 1772, elle fut abattue en 1773, par ordre de Jean Terray, successeur de l’Escalopier et n’a pas été restaurée depuis.

Longtemps voué à l’abandon, R.-A. de Tauriac écrit à son sujet en 1844 : « Depuis cette démolition (la toiture), le lavoir est resté inachevé, et, grâce à la parcimonie de la commune, il est devenu inutile pendant plus de huit mois dans l’année. Les intempéries des saisons rongent les murailles, les lichens désunissent les pierres : bientôt ce ne sera plus qu’une ruine !… S’il ne peut plus être appliqué à sa destination première, qu’il soit au moins transformé en salle de musique, en musée, en bibliothèque ; qu’il soit adapté à tout autre usage ; si l’on veut, mais qu’il soit conservé. Un peu d’or, fort peu, le sauverait de sa destruction. Si tant de choses ont disparu déjà, que la conservation du lavoir prouve au moins que tout sentiment de patriotisme n’est pas éteint dans le cœur des enfants de la ville » (Esquisses sur Millau et sur sa vallée, p.165-166, 1844).

Le lavoir en 2018.

En 1917, le lavoir refit parler de lui dans la presse locale : « Le Lavoir du boulevard de L’Ayrolle… est un des monuments qui embellissent le plus notre ville ; on ne doit donc rien négliger pour en assurer la conservation. Or, la poussière que de longues années ont accumulée sur le fronton forme une couche épaisse où les graines apportées par le vent ont germé et poussé ; il y a là toute une végétation. Au beau milieu se trouve un arbuste déjà gros, dont les racines enfoncées dans les joints, risquent fort de disjoindre les moellons et de dégrader le monument. Ne serait-il pas urgent de déraciner tous ces arbustes et herbes parasites ? On éviterait ainsi des dégradations probables. Comme dit le proverbe « Mieux vaut prévenir que guérir » (Journal de l’Aveyron, 29 juillet 1917).

Idem en 1926 : « Un vœu à la municipalité relatif à l’état du Lavoir dans les murs duquel se développe une végétation insolite disjoignant les pierres et compromettant la solidité de l’édifice tout en nuisant à son esthétique, sera préparé par le Comité du S.I.M » (Journal de l’Aveyron, 8 août 1926).

Maintes fois restauré, classé monument historique le 3 mars 1931, le lavoir de l’Ayrolle a hérité des grilles qui entouraient l’ancien Monument aux morts qui se dressait sur la place du Mandarous et qui a été déplacé au Parc de la Victoire en janvier 1950. Le lavoir est aujourd’hui mis en valeur par un éclairage bleuté.

Marc Parguel

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